Pourquoi? et Motivation de ces voyages

 

    Dans la seconde moitié du XVème siècle, en dépit de la prospérité retrouvée, les pays d'Europe occidentale subissent de nombreuses entraves au développement de leurs activités économiques. La nécessité de passer à la fois par les exigences turques et le monopole de Venise et de Florence pour se procurer les produits précieux d'Orient leur crée des difficultés communes.
    Deux pays du sud-ouest de l'Europe tentent des voient nouvelles qui font d'eux les pionniers de l'économie moderne. Le Portugal et l'Espagne bénéficient d'une conjoncture particulièrement favorable.

Elles sont de trois ordres:

1) Causes militaires et religieuses

2) Causes économiques

3) Causes techniques et scientifiques

 

I.    Causes militaires et religieuses

    La péninsule ibérique, longtemps occupée par les Maures, se libère peu à peu de ses conquérants arabo-berbères. La Reconquista est reprise avec l'union des souverains d'Aragon et de Castille (Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille) ; après une longue période de guerre civile, ils travaillent à la restauration de l'unité espagnole et de l'autorité souveraine. Pour cela, un adversaire commun est indispensable : ce sera l'Infidèle. La prise de Grenade (1492) amène la disparition du dernier lambeau de domination musulmane sur le sol hispanique. qui vit dans le royaume de Grenade.
    Le Portugal s'est longtemps opposé au royaume de Castille ; limité dans ses ambitions dans la péninsule ibérique, il est contraint de se tourner vers le grand large pour trouver les terres nécessaires à son expansion démographique. D'autre part, le besoin en blé conduit les souverains de Lisbonne à commercer avec le Maroc et les Portugais s'installent à Ceuta dès 1415.
Ce contexte de la Reconquista est dominé par une volonté d'apostolat pour convertir à la vraie religion les peuples lointains et inconnus. La chute de Constantinople (1453) marque la fin provisoire de l'antagonisme qui oppose l'Eglise catholique et apostolique romaine aux Eglises autocéphales orthodoxes tombées sous le joug des Turcs seldjoucides. Seul le Patriarche de Moscou échappe à l'emprise musulmane, mais il doit lutter contre l'invasion des Tatars.
    C'est donc dans ce cadre que s'inscrit la volonté d'effectuer la liaison avec le royaume du " Prêtre Jean " ; il s'agit en fait de l'ancien royaume d'Axoum qui a quitté la Côte d'Afrique orientale pour se réfugier dans les hauts plateaux éthiopiens et former le royaume copte d'Abyssinie. En 1434, le roi Zara Yaqob accède au trône et propose au roi Alphonse V de contourner les pays musulmans par le sud. Des liens particuliers seront établis entre les souverains portugais et d'Abyssinie allant jusqu'à l'envoi, en 1541, d'une force militaire de 400 arquebusiers.

II.    Causes économiques

    L'apaisement des conflits internationaux (guerre de Cent ans, lutte entre les maisons de Castille et d'Aragon, etc.) et le rétablissement de l'ordre public (fin de la guerre des deux roses en Angleterre, de la lutte des Armagnacs et Bourguigons en France) constituèrent des circonstances favorables à une reprise générale de la vie économique. La courbe démographique recommence à croître, donnant ainsi aux activités une pulsion nouvelle. Mais les troubles politiques du XIVème siècle ont apporté des bouleversements durables à l'économie d'avant guerre.
Les anciens foyers de production ont décliné et de nouveaux se sont éveillés ; les routes des échanges se dont déplacées. La plus grande partie des marchandises provenant d'Orient n'empruntent plus les cols des Alpes pour atteindre les villes de foire d'Allemagne ou de Champagne. La nouvelle route est maritime et relie Gènes et Venise à Londres et Bruges par le détroit de Gibraltar. De la les marchandises partent vers les villes hanséatiques (Brême, Hambourg, Riga, etc.).

    La reprise démographique, l'amélioration des conditions de vie, l'entrée d'un plus grand nombre de personnes dans une économie d'échanges ont pour conséquence une faible couverture des besoins par la production. Il devient donc urgent de rechercher d'autres territoires pouvant fournir les demandes. D'autre part, certains produits de luxe font d'autant plus défaut que la clientèle est plus nombreuse. Les épices, la soie, le sucre arrivent au compte-gouttes à Venise et à Gènes qui détiennent le monopole du commerce avec l'Orient. Certains affirment que la chute de Constantinople a fermé la route des épices et de la soie ; en réalité il n'en est rien, le commerce continue soit par Alexandrie, la Mer Rouge et la côte des Malabars (voie maritime), soit par voie terrestre à travers les plaines d'Ukraine, le Caucase et l'Inde.
Enfin, les métaux précieux, l'or qui sous-tend l'activité économique, ne sont plus produits en quantité suffisante pour répondre aux besoins monétaires. Les pays ibériques, en contact avec le monde arabo-musulman par l'intermédiaire du Maroc ont entendu parler, à travers les récits du géographe Ibn Battuta, des immenses richesses de l'Empire songhraï de Tombouctou. Ils vont donc s'efforcer dans un premier temps de trouver une route qui puisse les mettre en contact avec l'Empire songhraï, puis de contourner l'Afrique pour s'approvisionner directement en Inde et court-circuiter le monopole des villes marchandes italiennes.

 

III.    Causes techniques et scientifiques

 

La révolution géographique

Depuis le Vème siècle après J.-C., tous les savants savent que la terre est ronde. Bède le Vénérable (mort en 736) écrit dans son traité De la nature des choses " Que la terre est semblable à un globe " ; cet acquis n'a jamais subi la moindre contestation de la part de l'Eglise.
Les Arabes transmettent aux Européens les travaux de l'antiquité hellénistique : Hérodote, Ératosthène, Hipparque de Nicée, Strabon et Ptolémée (IIème siècle ap. J.-C.) qui a fait une synthèse de tous les travaux antérieurs. Sa Géographie est une vaste compilation destinée à l'établissement d'une carte du monde connu. Les cartes qui accompagnent l'édition de sa géographie au XVème siècle répandent l'idée que des côtes d'Europe, en faisant voile vers l'ouest, on atteindrait facilement l'Asie.
Les géographes arabes (Edresi - XIIème siècle - et Ibn Battuta - XIVème siècle) fournissent d'importantes indications sur l'Afrique, la péninsule arabique et l'Inde. D'autre part, à la suite des croisades, les Occidentaux entreprennent de grandes expéditions en Asie dont la plus connue est celle de Marco Polo en raison de son Livre des Merveilles dans lequel il décrit les richesses des pays traversés. La plupart des voyageurs de l'époque ont laissé leurs relations de voyages, et c'est grâce à la compilation de tous ces périple que des traités de géographie voient le jour.
Mais les connaissances sont erronées. Certains géographes, comme l'italien Toscanelli (1471) démontrent que les données sont fausses. Ceci est dû au manque de précision des instruments de mesure permettant de faire des relevés. L'Europe et l'Asie sont démesurément allongés vers l'est par rapport au méridien de référence (méridien des Canaries) ; la distance Asie-Europe par l'ouest s'en trouve donc fortementr accrue. Il est donc normal que la route vers l'ouest, pour rejoindre Cathay (Chine) et Cipangu (Japon) soit considérée comme plus facile.
La carte permet d'abord la conquête intellectuelle du monde avant d'accompagner et de guider son exploration ; les voyageurs, loin de partir vers l'inconnu, ont voulu vérifier dans les faits l'existence de mondes que la spéculation intellectuelle avait d'abord suscité pour dilater l'univers des mappemondes. L'entreprise de la découverte trouve dans la carte un objet conventionnel fondé sur des principes scientifiques et susceptible d'améliorations.
Cette révolution des connaissances géographiques se poursuit au XVIème siècle avec la mise au point du système de projection de Mercator qui permet de représenter sur une surface plane le globe terrestre. Cette découverte facilitera grandement la navigation. Mais en même temps que les connaissances géographiques augmentent, des découvertes techniques importantes révolutionnent l'art de naviguer.

Les instruments de navigation

Ces instruments de navigation permettent de s'affranchir de la côte et de pouvoir naviguer en pleine mer. Les nouveaux instruments permettent de partir le dos à la terre, ailleurs qu'en Méditerranée. (La Méditerranée est une mer fermée ; après quelques jours de navigation en gardant le même cap, on est certain de trouver une terre connue). Les navigateurs peuvent s'orienter en pleine mer grâce à deux instruments : la boussole et l'astrolabe.
· la boussole est une invention chinoise apporté par les Arabes au XIIIème siècle ; un Italien a eu l'idée de monter l'aiguille aimantée sur un pivot et de loger le tout dans une boite. La boussole permet s'orienter et de garder un cap.
· Sous Jean II du Portugal (1455-1495), les mathématiciens du cap Saint-Vincent découvrent le moyen de calculer la latitude d'un lieu quelconque grâce à l'astrolabe. On mesure l'angle de l'étoile polaire avec l'horizon et l'on se reporte à des tables astronomiques.
Malheureusement les instruments de mesure du temps sont encore trop rudimentaires pour calculer correctement la longitude. Le seul moyen employé est le sablier de Vingt-quatre heure qui permet de déterminer approximativement le fuseau dans lequel on se trouve. Sur un long voyage, il était possible de se tromper de 20° (400 lieues). Avec des cartes sommaires, une boussole et la possibilité de faire un point approximatif, les marins disposaient de quelques moyens fiables pour naviguer en haute mer.

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